mardi 10 juillet 2007

Lettre ouverte sur des articles sur C. Gagnon et J. Corbin

Au Groupe Internationaliste Ouvrier

Lettre ouverte sur quelques articles de Notes Internationalistes parus dans les #6 (Charles Gagnon) et #7.

Chers camarades

Une relecture de l’article « Charles Gagnon 1939-2005 Un engagement intense, une révolte sincère, mais quel bilan? » paru dans Notes Internationalistes, (mars 2006), nous a amené à y trouver beaucoup d’ambiguïtés et de faiblesses.

Précisons au premier abord que l’activité idéologique dominante de la bourgeoisie chez les prolétaires « consiste à inventer des organisations, des partis, lesquels inventeront des solutions qui, bien que revêtues de phrases de Marx ou de Lénine, seront des idéologies étrangères au prolétariat, même si elles semblent avoir pour elles le passé, la Révolution russe ou n’importe quel autre événement. Il s’agira d’introduire parmi les ouvriers des positions qui, au nom de la révolution ou de la lutte révolutionnaire d’hier, seront des moyens pour défendre aujourd’hui la société capitaliste. » (La gauche communiste de France Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire p.10)

Peu importe ce qu’a pu écrire Charles Gagnon. Comme militant politique, dans la mesure où il s'est toujours revendiqué soit du courant nationaliste québécois durant sa période felquiste (un des leaders du Front de Libération du Québec), soit et surtout du maoïsme et du stalinisme

(secrétaire général d’En Lutte!), il n’a jamais été relié, d'une manière ou d'une autre à l'internationalisme prolétarien et à l'histoire du mouvement ouvrier. Il a toujours appartenu à des courants politiques bourgeois. En particulier, et c'est à ce titre d'ailleurs que l'article lui est dédié, il a appartenu à un courant, le stalinisme et sa variante maoïste, qui a servi de fer de lance de la terrible et sanglante contre-révolution dès les années 1920 et tout au long des années 30, 40, 50, et même 60...

Deux ans avant la dissolution d’En Lutte, Gagnon écrivait : « Nous n’avons aucune hésitation à reconnaître que Staline a été un ferme défenseur du marxisme-léniniste, qu’il a maintenu sans relâche le principe fondamental de la construction du socialisme en URSS sous la dictature du prolétariat. Nous reconnaissons qu’il a joué un rôle déterminant au sein du Comintern et, par ce biais, dans le développement des forces communistes dans le monde. »

(Forum International, revue internationale d’EL. avril 1980)

Or NI nous présente ce militant maoïste bien connu comme un militant dont l'engagement serait à saluer et dont l'exemple serait, malgré ses "erreurs", à suivre :

- un militant qui aurait émis une "critique, somme toute fort incomplète, du mouvement nationaliste québécois et des mouvements de libération nationale dans leur ensemble" ;(Notes Internationalistes Nouvelles série #6)

- un militant qui "du moins tout au long de sa vie publique, fut fort éloigné (sic !) des positions que nous défendons" ; (Ibid)

- un militant présenté, indirectement, comme "un militant de l'avant-garde révolutionnaire", un révolutionnaire qui "opère à partir des matériaux provenant du champ d’expérience historique de la classe" ; (Ibid)

- un militant qui "aura en fin de compte été terrassé politiquement par le splendide isolement (...) coupé des luttes et du contact avec les prolétaires avec qui il avait naguère su communiquer de façon si naturelle et si «organique», [qui] perdit graduellement le fil de la recherche théorique relativement prometteuse qu’il avait entreprise dans la période menant à la dissolution d’En Lutte ! ". (Ibid)

Notes internationalistes estime donc possible, à partir du cadre politique donné par le maoïsme et le stalinisme, d'émettre une dénonciation, d’un point de vue de prolétarien, du nationalisme ; d'avoir des positions éloignées des positions du camp prolétarien, et non pas opposées et antagoniques ; de faire partie de l'avant-garde révolutionnaire et de se réapproprier l'histoire du mouvement ouvrier ; et enfin d'acquérir un "lien" naturel et organique" avec le prolétariat tout en disposant d'un cadre pour la recherche théorique. Il va même jusqu'à pleurer sur la soi-disant mort politique - "terrassé politiquement" -... d'un militant maoïste. NI ne fait aucune référence au "point de vue de classe", ni même à des notions de classe, pour évaluer "l'oeuvre" du militant maoïste et à son groupe En Lutte ! . Mais son appartenance à la Gauche communiste et son adhésion au BIPR labellisent ses prises de position et octroie donc au maoïsme, ou pour le moins à ce maoïsme, ce caractère de classe.

Il y a là une position ouvertement opportuniste pour le GIO, groupe adhérant du BIPR.

L'article dévoile en fait toute une vision qui manifeste une absence de rupture politique claire et tranchée avec le maoïsme.

L'article présente la constitution du groupe En Lutte ! comme "le produit de toute une génération de rebelles, au Québec et dans le monde, qui se lève certes pour dénoncer toutes sortes de formes d’oppression et d’exploitation, et qui est rebutée par ce qu’elle connaît du goulag en URSS et dans le Bloc de l’Est, mais qui prend pour acquis les prétentions du maoïsme et de son mouvement de «jeunesse» à renouveler le projet socialiste".(Ibid) Il semble ainsi lui prêter un caractère "positif" dans l'adhésion au maoïsme d'une génération de militants alors même que, du point de vue communiste, elle fut un piège politique bourgeois pour ces énergies. Cette impression est confirmée ensuite lorsque la constitution du groupe maoïste En Lutte ! est implicitement saluée : " après des débuts prometteurs, l’organisation sera ébranlée par les solides coups au corps de l’abominable politique extérieure de la Chine" (Ibid) (nous soulignons). En quoi, du point de vue prolétarien, la constitution d'un groupe gauchiste maoïste, peut-il présenter une promesse ? Sinon la promesse de la défaite et de la contre-révolution.

Dans la foulée, et c'est là le coeur de la question, la conclusion de l'article revendique une continuité théorique, politique et historique entre le maoïsme et le... GIO, et même le BIPR (!) qui est particulièrement dangereuse et à combattre.

"Alors que chez bon nombre de ses anciens camarades, la dissolution d’En Lutte ! les mènera à rompre explicitement avec le marxisme, pour quelques éléments, la poursuite de la réflexion théorique et un engagement maintenu dans les luttes ouvrières les mèneront, après bien des travers et des tâtonnements, à la Gauche communiste et au Bureau International pour le Parti Révolutionnaire" (Ibid) (nous soulignons). Peut importe la note de bas de page où il est fait mention que « nous employons uniquement par convenance le terme «marxisme », NI continue de semer une confusion trouble sur ce qu’est vraiment le marxisme. Pire la même note ajoute que les ex-maoïstes « restent une réserve importante et capable de s’engager et de lutter, lors de la prochaine vague de lutte contre les imprécations du capital. »

Comment NI peut-il affirmer que des militants maoïstes aient pu finir par rompre avec le marxisme ? Jamais, ô grand jamais ! , la Gauche communiste n'a établi une quelconque continuité entre le marxisme et le stalinisme, sans même parler du maoïsme. Mais au contraire une rupture et un antagonisme irréconciliable ! Laisser croire qu'une réflexion marxiste puisse exister au sein du maoïsme et du stalinisme, c'est oublier - dans le meilleur des cas - un des acquis du combat de la Gauche communiste, en particulier contre l'opportunisme de Trotsky dans les années 1930. C'est la porte ouverte à l'éclectisme et au révisionnisme théorique, bref à l'abandon du marxisme. C'est aussi, au plan politique, laisser croire que quelque chose de vivant, de prolétarien, puisse exister dans des organisations maoïstes et staliniennes. C'est laisser croire qu'elles ne font pas partie du camp politique de la bourgeoisie et du capitalisme. C'est ouvrir une porte au gauchisme bourgeois.

"De nos expériences partagées avec lui, nous tenterons de conserver «ses moments de vérité» mais de poursuivre plus loin et bien autrement son combat pour la construction du parti prolétarien ". (Ibid)

Comment NI peut-il se revendiquer des expériences - historiques et militantes - que des individus, aujourd’hui militants au sein du BIPR et de la Gauche communiste, ont pu avoir au sein du maoïsme ? Jamais, ô grand jamais ! , la Gauche n'a revendiqué une quelconque "expérience partagée" avec le stalinisme. Mais au contraire une rupture politique et un combat à mort.

Comment NI peut-il vouloir poursuivre le soi-disant combat pour le parti prolétarien d'une quelconque organisation maoïste ? Qu'est-ce qu'un parti maoïste a à voir avec un parti prolétarien ? Rien. L'un est la négation de l'autre. La stalinisation triomphante des partis communistes impliquait inévitablement l'exclusion des oppositions de gauche, et tout particulièrement de la Gauche communiste. Celle-ci s'est constituée tout particulièrement dans sa lutte contre "la bolchévisation" des partis communistes dans les années 20. Qu'est-ce qu'un parti nationaliste bourgeois a à voir avec un parti internationaliste prolétarien ? Rien. L'un est la négation de l'autre. L'adoption par l'Internationale du "socialisme dans un seul pays" impliquait inévitablement l'exclusion des internationalistes, et tout particulièrement de la Gauche communiste, des PC.

Laisser croire que les révolutionnaires puissent faire un bout de chemin, ou "partager une expérience", avec des groupes maoïstes, n'est-ce pas là, dans le meilleur des cas, l'ouverture au frontisme... que la Gauche communiste a toujours combattu ? Laisser croire qu'il pourrait y avoir un quelconque lien, une quelconque démarche ou recherche commune au maoïsme et à la Gauche communiste, dans la construction du parti communiste, n'est-ce pas là la porte ouverte à toutes les compromissions organisationnelles et politiques, voire à l'entrisme, que la Gauche communiste a justement combattues ? Et n'est-ce pas là attribuer au maoïsme un quelconque caractère positif pour le prolétariat international et les forces révolutionnaires ?

La confusion et l'opportunisme politique de l'article de NI viennent manifester ce manque et exprime une rupture incomplète, confuse, avec le gauchisme. En particulier, l'article révèle que, pour les camarades, il existe une continuité entre leur passé dans le camp politique bourgeois et leur présent dans le camp internationaliste. Plus, ils y voient une étape positive dans leur vie militante, une étape dans la voie vers la Gauche communiste alors même qu'encore aujourd'hui elle les entrave et les faix retomber dans le gauchisme. Ils ne voient pas que En Lutte ! , comme les "dizaines" d'organisations gauchistes qu'ils mentionnent, a fait disparaître "la génération de rebelles" qui avait adhéré et qui s'est perdue pour la réelle activité révolutionnaire.

Que des individus, honnêtes et sincères, puissent finir par se dégager du gauchisme car écoeurés de ces pratiques; ou bien comprenant son impasse du point de vue d'un individu qui veut réellement et a encore la force de lutter contre le capitalisme est une chose. Autre chose est d'en conclure que le passage par le gauchisme peut représenter une étape positive dans l'évolution et la clarification politique d'un militant. Les habitudes et les idées acquises dans des groupes gauchistes retardent la connaissance d'un marxisme véritablement vivant. Le militantisme d’individus, dans ces groupes gauchistes, les a rendu complice de ces organisations du capital en embarquant des éléments conscients du prolétariat dans la même galère qu’eux.

Pour que les individus qui veulent se dégager du gauchisme puissent le faire réellement, il est indispensable qu'ils arrivent à rompre politiquement, et donc explicitement, avec le gauchisme en général, et leur expérience passée en particulier.

Même opportuniste dans le N.I #7 de décembre 2006

Compte, tenu de l’article du numéro précédent, l’utilisation de la Une « Pouvoir ouvrier contre exploitation capitaliste! », nous laisse assez perplexe. C’est un vieux slogan de la plateforme d’EL entre septembre 73 et mai 75. « Pouvoir ouvrier » pour les maoïstes de ces années-là, c’était une étape en attendant la révolution dans les pays impérialistes. Ce qui est clair pour la Gauche communiste, c’est la dictature du prolétariat à l’échelle internationale. Pour détruire le capitalisme, la classe ouvrière devra renverser tous les Etats et établir la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale : le pouvoir international des conseils ouvriers, regroupant l’ensemble du prolétariat.

Dans Notes de lecture « Deux regards sur Jeanne Corbin », NI veut encore nous amadouer sur cette stalinienne en lançant l’élucubration suivante :

« Pourtant, dans la décennie qui suivra, le PCC connaîtra des crises importantes: l’affaire Guzenko, les révélations du XXe Congrès du PCUS et l’insurrection hongroise en 1956. Ces crises mèneront un grand nombre des anciens camarades de Jeanne Corbin à le quitter. Personne ne peut savoir l’attitude que Jeanne aurait adoptée si elle avait survécu. » (Notes Internationaliste Nouvelles série #7)

Cette « héroïne », responsable du journal du parti Worker, organisatrice syndicale, permanente du parti et rédactrice de l’Ouvrier canadien au début des années 30, était embarquée dans le stalinisme jusqu’au cou et n’était pas un membre ordinaire.

On retrouve encore, les mêmes présuppositions non matérialistes sur les opinions des personnalités du stalinisme. La conclusion de la Note de lecture sur les Scènes de la vie en rouge, L’Époque de Jeanne Corbin se termine par « Il reste que la biographie de Jeanne Corbin est un livre important pour comprendre les forces et les faiblesses du mouvement social de cette époque. » (Ibid). Encore une fois l’article sème la confusion avec l’expression mouvement social, qui est utilisé par des marxologues de tout poil.

Ce qui est fondamental pour la Gauche communiste, ce n’est pas de comprendre les forces et les faiblesses du mouvement social (sic) mais le fait que ces staliniens ont introduit parmi les ouvriers des positions qui, au nom de la révolution russe, ont été des moyens pour défendre la société capitaliste. Pour nous ce qui compte, c’est le point de vue de classe. Quant à l’élucubration sur « l’attitude que Jeanne aurait adoptée si elle avait survécu » c’est du plus plat idéalisme.

Finalement le GIO sortira-t-il, encore une fois, Marx de son contexte pour lui faire dire que « rien de ce qui est humain ne nous est étranger », comme il l’utilise dans l’article, pour justifier ces positions opportunistes?

Des communistes internationalistes de Montréal cim_icm@yahoo.com

CIM_ICM,C.P. 55514, Succ. Maisonneuve, Montréal,QC H1W 0A1